* Sesto Club d'Arudy
Samedi 20 Janvier 1962 – Première de la VN de l’Aiguille Sud à Sesto.
Participants : Christine, Hervé, François, Jean.
Véhicules : Vélo, Mobylette et Maw-Maw.
Le temps étant au grand beau, la lune pleine, j’avais prévu au courant de la semaine quelque chose de bien à Arudy.
Nous sommes quatre à nous rendre à notre paradis de grimpeurs : Christine sur la moto d’Hervé, François en Mobylette et moi en vélo.
Il est prévu que je fasse la route avec François et l’on doit se rencontrer à Gan, où je me dépêche d’arriver, au sprint, mais pas de François sur la place de la Mairie. Je monte donc sur les coteaux mais rate François qui descend par une autre route ! Hervé étant parti peu après [d’où ?] je le rencontre alors que je me dore au soleil généreux. La jonction avec François est vite opérée et nous arrivons à Arudy sans trop d’encombre, une simple petite course avec deux cyclo-touristes.
Au bivouac de Sesto pas d’Hervé. Encore une panne, sans doute ! En l’attendant nous allons voir la Traversée Artificielle de la Jaune, à la voie normale. Ce qui fait arriver Hervé et Christine. Nous attaquons alors la VN de l’Aiguille Sud. François et moi formons la cordée de tête. Hervé et Christine suivent.
Le dièdre de départ est assez facilement grimpé malgré un IV+ glissant. Il est assez marrant et pour le passer facilement il faut être …. vers le vide, ce qui n’est pas naturel. François s’y fatigue et le trouve dur. Pendant qu’Hervé arrive, très en forme aujourd’hui, j’enchaîne la longueur suivante qui est très soutenue sur un rocher excellent sans être difficile. Un régal. Je continue sur une dalle d’escalade intéressante aussi, suivie d’un surplomb. Pour l’assurance je place 2 pitons jumelés. C’est surtout pour le moral, car c’est assez foireux. Et au fond le surplomb était moins dur qu’il n’en avait l’air. François le passe facilement. Nous allons ensuite sur l’Aiguille Verte observer Hervé et Christine.
Hervé s’en sort bien et vite, mais Christine qui s’était bien débrouillée jusque-là, prend peur au-dessus du vide et n’ose pas aller sur la dalle déversée vers le vide justement. Elle essaie d’esquiver le passage en montant vers un couloir de buis, fait un traffic affreux avec sa corde, pour finalement être obligée de passer par la bonne voie, le piton en place l’y contraignant.
Une pause qu bivouac. Pendant ce temps Hervé fonce à Arudy acheter des piles pour les frontales et pouvoir affronter la nuit qui s’annonce déjà. Les autres vont s’escrimer à la Fissure aux Coins Géants, question d’entraîner François à l’Artif. Il souffle et sue comme un damné, emmêle les cordes, part avec un piton et est retenu par un coin de bois que j’avais rangé parmi les douteux. A la sortie du passage il est à la limite extrême du dévissage, ses bras n’en pouvant plus et à cause du frottement des cordes. Mais enfin il y est. Il n’a jamais, je parie, autant juré de sa vie.
Christine, à la vue de ce spectacle terrifiant, ne veut pas goûter aux joies de l’Artif. D’autant plus que la nuit est tombée. Une lune splendide est posée sur le Turon, énorme boule jaune dont l’éclat va grandissant avec la nuit qui s’avance et illumine notre rocher qui se met à reprendre vie. Déjà le crépuscule nous avait éblouis avec son ciel aux couleurs immensément pures et profondes qui sombraient lentement dans l’éclat laiteux du clair de lune. Les couleurs passent du bleuté léger au légèrement rosé, puis deviennent immatérielles en plongeant dans l’infini. Les dernières traces du crépuscule se retrouvent sur les dômes de neige lointains, luisant encore faiblement. Tout ceci rend heureux. C’est vrai, tout simplement vrai.
Je rejoins rapidement François, la fissure ne me posant plus de problème. Une petite redescente pour récupérer un piton oublié dans la fissure. Nous continuons par le Pas de la Nocture, bien nocturne cette fois encore et bien éclairée par Dame Lune.
Pendant ce temps, Hervé qui est revenu d’Arudy avec les piles, grimpe au pied de la fissure aux Coins Géants pour récupérer deux étriers oubliés eux aussi, et en profite pour passer par la Voie du Tarbais et sa traversée. Seul, de nuit c’est gonflé. Nous terminons ensemble et descendons de concert boire et nous restaurer au bivouac à la chaleur d’un bon feu afin de nous préparer aux prochaines escalades.
Hervé décide d’aller faire la Verte avec Christine pendant que François et moi allons grimper la Voie du Coiffeur (André Demiguel).
Alors que nous nous dirigeons vers le départ de cette voie, nous voyons Hervé et Christine évoluer dans la muraille au clair de lune ; c’est saisissant, et même impressionnant. La paroi prend une toute autre dimension, semble devenir immense. La petite lueur verdâtre de la lampe de ma sœur qui s’agite dans la falaise renforce cette impression et crée un effet extraordinaire. On ne voit qu’elle. Comme une luciole accrochée à la paroi immobile et majestueuse.
Après quelques minutes de contemplation rêveuse nous filons, François et moi, à la voie du Coiffeur. Dès l’attaque les ennuis commencent. Des ronces agressives m’arrachent la frontale. La poussière qui couvre les rochers est glissante et le piton du premier relais est récalcitrant. La poussière glissante se retrouve également entre la première et la seconde longueur. Nous hésitons un moment au pied du dièdre de V+ qui conduit au troisième relais. Hum !! Non, pas ce soir. Nous l’évitons par la gauche.
Nous abordons ensuite la curieuse traversée qui rejoint l’arête Est. Elle me semble différente du souvenir que j’en ai (qui ne date que du 16 Avril 1961). Elle est astucieuse et à première vue on n’imagine pas que l’on peut passer par là. Ne repérant pas l’emplacement du dernier piton, je pars en libre et me retrouve pendu par les mains, les pieds en opposition sur le rocher, en triste posture et en voie de revenir rapidement à mon point de départ ! Heureusement la bonne prise est trouvée à temps et, assez haletant, je prends pieds sur une mince réglette, au bord d’un surplomb et au ras du vide, ce qui n’est pas très facile. Ouf !
Je me rapproche d’Hervé, monté à la sortie de la voie par l’arête Est, et qui profite de notre exercice en ne se privant pas de nous mettre en boîte. François s’en tire à grand peine avec des manœuvres de corde compliquées et l’abandon d’un piton et d’un mousqueton et me rejoint au quatrième relais. Hervé nous assure pour le dernier passage où François, épuisé, dévisse à la sortie, mais facilement retenu, reprend pied et termine la voie.
Je dépitonne et les rejoints. Cette Voie du Coiffeur est une belle voie. Nous continuons par l’arête Est par une escalade amusante sans aucune difficulté, puis retour bivouac pour ranger le matériel.
Nous partons sous un ruissellement de lumière lunaire qui rend cette nuit très attachante. Au loin nous percevons les prairies qui commencent à blanchir sous le givre et une brume légère et lumineuse. Des dômes de neige brillants forment la toile de fond de ce paysage magique.
En nous retournant nous apercevons « notre » rocher qui prend une allure terrible et magnifique dans cette nuit d’ombre et de lune. C’est notre domaine vertical que nous nous approprions au fil des jours et des nuits, c’est notre chez nous. Nous l’aimons. Que de joies nous a-t-il dispensé ! Que de joies nous réserve-t-il encore ?
Le convoi de retour comprend Hervé et Christine sur Maw-Maw, François en vélomoteur, et moi en vélo. Hervé me tire jusqu’au sommet de la côte de Sévignacq puis s’en va. Un peu plus loin mon dérailleur déclare forfait et François doit me tirer. Il fait froid, je me gèle. Heureusement la montée au chalet du Foufouland me réchauffe, au même titre que sa radieuse famille. Agapes, discussions et jeux se poursuivent jusqu’à 3h du matin. « Ah que nous nous aimons » écrira 10 ans plus tard Denyse.
Quelle belle conclusion de cette journée exceptionnelle de beauté et d’amour.
Les quatre croquis inclus dans le texte :
Voie Normale de l’Aiguille Sud (Sesto)
Verte (Sesto)
Voie du Coiffeur (Refuge)
Voie du Tarbais (Sesto)